Ca y est, cette fois ce devrait être la bonne. La fin du Minitel avait déjà été programmée en 2009, puis reportée. Ce coup-ci, il reste (normalement donc) un peu moins de trois semaines avant que le Minitel ne rende définitivement les armes ! Le 30 Juin 2012, les quelques centaines de milliers de boîtiers encore en circulation ne seront plus que des petites boîtes muettes : le réseau sera « éteint ». Voici donc un petit article destiné aux nostalgiques mais aussi à ceux qui ne l’ont jamais connu et qui n’ont jamais eu la chance de savoir comment il marchait !
Un boitier révolutionnaire
Apparu au début des années 80, le Minitel a permis aux Français d’avoir un accès à de nombreux services bien avant leurs voisins Européens ou même Américains. Ce boîtier qu’initialement on mettait sous son téléviseur (il s’agissait d’un simple décodeur) puis qui s’est doté d’un écran propre a révolutionné les habitudes de nombreux Français.
Une grande facilité d’utilisation
Le Minitel est considéré comme la première rencontre entre l’informatique et les télécommunications. Il constitue le premier résultat de la convergence entre ces deux domaines. L’expérience utilisateur a été particulièrement soignée pour pouvoir être accessible à n’importe qui. Il ne fallait pas avoir de connaissances particulières pour pouvoir utiliser le Minitel. On composait le numéro du service auquel on désirait accéder (3615 METEO… ou bien 3615 ULLA par exemple !:) sur la télécommande et on se retrouvait en quelques secondes sur ce dernier ! C’est ce qui a permis de l’installer dans près de 9 millions de foyers en France à son apogée (dans les années 1990). De plus, comme il s’appuyait sur le réseau téléphonique, il n’y avait pas vraiment d’investissements à faire au niveau des infrastructures et son déploiement a pu être rapide et a concerné bon nombre de foyers. Un vrai succès commercial.
La plus grande base de données du monde
L’annuaire accessible au 3611 regroupait les Pages Jaunes et les Pages Blanches de tous les départements. Auparavant, on recevait un exemplaire des Pages Jaunes et un exemplaire des Pages Blanches. Mais cela ne concernait que son département. En fait, les Pages Jaunes et Blanches regroupaient plusieurs dizaines de tomes en France ! Le Minitel a réussi l’exploit de rendre accessible tous ces tomes en passant par un simple numéro. Il n’y avait qu’à taper les éléments de sa recherche et on pouvait trouver ce que l’on désirait ! Cette énorme base de données (la plus grande du monde à l’époque) avec tous les particuliers et toutes les entreprises de France était consultable depuis n’importe quel Minitel et a énormément participé au mythe de la fin de l’ère du papier.
Mais alors, pourquoi juste en France ?
Pourquoi ce boitier si révolutionnaire n’a pas franchi les frontières de notre cher pays ? Eh bien, il y a eu des tentatives, notamment au Japon. Mais elles n’ont pas abouti ! Les caractères japonais sont trop compliqués pour apparaître clairement sur un appareil avec une résolution si faible… ! Donc la France est restée le seul pays à avoir le Minitel dans le monde. L’exception Française quoi !
Un modèle économique très rentable
Subventionnement de l’appareil
Le succès du Minitel est en grande partie dû au fait qu’il était fourni gratuitement. Il était prêté par France Télécom (des modèles plus évolués étaient aussi en location et en vente) et il fallait trouver un moyen de rentabiliser cet investissement conséquent : chaque boîtier coûtait 1 000 francs environ. Ce subventionnement a été à la base des subventionnements des téléphones portables qui ont suivi (et dont on dit beaucoup de mal depuis longtemps) : on vend l’appareil et le service en même temps en feintant d’offrir l’appareil tout en récupérant son investissement à travers des services plus chers que la normale. Et à l’époque, Free (qui combat âprement le subventionnement par les opérateurs qui selon lui n’est pas à l’avantage de l’utilisateur) n’existait pas encore, mais Xavier Niel lui était bien présent sur le Minitel via des services de messageries roses qu’il proposait !
Simplicité de paiement via la surfacturation téléphonique
Le « Kiosque » sur le Minitel comme on l’appelait a été mis en place en 1984. Il s’agissait d’une sorte de « Marketplace » (rudimentaire) comme on les connait aujourd’hui avec l’Appstore ou des systèmes équivalents. On démarrait le compteur et chaque minute passée sur les différents services proposés sur le Minitel était comptabilisée et on recevait à la fin du mois une facture téléphonique comprenant les dépenses réalisées sur le Minitel. Un système de surfacturation en somme. L’utilisateur n’avait rien à faire et ne se rendait pas vraiment compte de ses dépenses avant la fin du mois et le paiement de la facture de téléphone ! Ceci a permis à France Telecom et aux différents services disponibles de gagner énormément d’argent (en général, France Télécom gardait 40% du montant versé par l’utilisateur, et le service consulté récupérait 60% de ce dernier).
Différents numéros, différents tarifs
Sur le Minitel, les différents services proposés n’avaient pas tous les mêmes prix à l’utilisation. Le fameux 3615 regroupait par exemple les services plutôt chers (environ 70 francs de l’heure) quand le 3611 (pour l’annuaire) était beaucoup plus accessible : les trois premières minutes étaient d’ailleurs gratuites. Les fournisseurs de services devaient choisir entre proposer leurs services à plus faible coût pour avoir plus de passage, ou bien augmenter le prix en passant à d’autres numéros et compter sur la fidélité des utilisateurs (cas des messageries roses). Le 3613 était lui un service gratuit pour l’utilisateur. Quant au 3617, il était adapté au monde de l’entreprise (qui bloquait la plupart du temps le 3615). En bref, c’était une véritable grille tarifaire. On pourrait penser que c’est en quelque sorte l’ancêtre des noms de domaine sur Internet, .fr, .net ou .com même si sur Internet, on a moins la dimension tarifaire qui entre en question ! Les autres points communs avec Internet sont nombreux. On pense par exemple aux sites pornographiques qui concentrent une part non négligeable des visites, à l’image des messageries roses qui à leur époque étaient des numéros beaucoup composés !
Un frein au déploiement d’Internet en France ?
Eric Schmidt, PDG de Google, disait il y a deux ans « Les Français étaient en retard, ils ne pensaient qu’à leur Minitel. Maintenant, ils sont très sophistiqués dans leur utilisation des nouvelles technologies. La France est l’un des plus importants centres de culture, d’affaires et de technologie au monde. ». Cette phrase résume assez bien les choses. Les Français étaient focalisés sur leur Minitel et ont donc accusé un certain retard à l’heure où il fallait franchir le cap d’Internet. Mais le Minitel les a « préparés » à ce virage ce qui fait que Schmidt insiste sur le caractère sophistiqué de l’utilisation des nouvelles technologies chez les Français.
Frein du côté de l’offre
Les services étaient un peu réticents à passer à l’ère d’Internet. Comme dit précédemment, les différents services proposés sur le Minitel étaient payants et les fournisseurs de services touchaient leur part du gâteau (environ 60% du montant payé par l’utilisateur pour la consultation). Avec l’avènement d’Internet, les différentes entreprises présentes sur le Minitel ne voyaient pas bien comment elles allaient rentabiliser autant leur présence sur Internet que sur le Minitel. C’est pourquoi l’offre à tarder à arriver sur Internet du côté Français.
Education à l’interactivité
Un des succès du Minitel a été la messagerie électronique. Cette dernière a largement préparé les utilisateurs à l’écriture future des Mails via Internet ! Les autres exemples sont nombreux. Ainsi, les Français faisaient déjà pour certains leurs courses sur le Minitel. Ils avaient les catalogues de La Redoute ou des 3 Suisses chez eux et consultaient les différents produits disponibles (et les images aussi car on ne pouvait pas visionner d’images sur le Minitel) puis pouvaient passer commande directement depuis leur Minitel. Ils avaient donc déjà eu à remplir des formulaires. Ils pouvaient aussi commander leurs billets de train directement depuis leur Minitel et ils étaient envoyés directement chez eux. Une bonne partie des possesseurs du Minitel ont également entré leur nom dans l’annuaire au 3611, juste pour voir leurs homonymes ou autre ! Un peu à l’image de ce qu’on fait aujourd’hui de temps en temps sur Google, pour voir ce qui se dit sur nous sur la toile à notre insu (« Se googler » !) Le Minitel a préparé en quelque sorte ses utilisateurs à Internet. C’est pourquoi la France est partie à la conquête d’Internet avec quelques années de retard mais a très rapidement négocié ce virage.
Fin du Minitel
Toutes les bonnes choses ont une fin. Le Minitel a rendu bien des services à des millions d’utilisateurs quand il était à son apogée et qu’il comportait près de 25 000 services. Mais il ne peut pas faire le poids face à Internet, un système ouvert et international, et les multiples possibilités qu’offre ce dernier : la création de sites Internet est accessible à n’importe qui dans le monde et les contenus sont pour beaucoup gratuits. Mort du minitel Alors que ceux qui ont encore un Minitel chez eux s’en servent une dernière fois s’ils le veulent, les jours sont comptés !
Auteur : Jérôme Chaaban
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